« Pour qu’une pensée change le monde, il faut d’abord qu’elle change la vie de celui qui la porte. Il faut qu’elle se change en exemple » écrivait Camus cité en exergue du livre. Par cette citation introductive, Lamberto Maffei met en avant la nécessité de ne pas être un citoyen numérique passif devant la vague numérique qui modifie profondément l’humanité. Une sorte d’éloge de la rébellion. Alors que chacun, surtout les plus jeunes, a accès à une masse colossale de d’informations, paradoxalement une nouvelle solitude est en train de s’installer. C’est, selon l’auteur, la solitude du cerveau, seul dans une pièce et qui n’a plus beaucoup de contacts affectifs avec les autres. Le risque est de perdre les stimulis physiologiques de l’environnement, du soleil, de la réalité palpitante de la vie. Certains internautes addicts aux jeux vidéo ou réseaux sociaux, vivent de plus en plus coupés du monde. La rébellion de Maffei est issue du discours dénué de rationalité communicative des politiciens, repliés derrière une langue absconse et manipulatrice, des sirènes des médias à la solde des riches propriétaires. L’avance prise par la communication technologique face à la communication culturelle, préoccupe l’auteur. Surtout, il s’inquiète de la préminence de la pensée rapide au détriment de la pensée lente qui est à la base de la réflexion et de la décision responsable. Reprenant la citation d’Umberto Eco, Maffei pense qu’Internet a rendu plus visibles les « imbéciles » faisant allusion aux fake news, ces fausses informations,aux posts, billets et commentaires ineptes ou agressifs sur les réseaux sociaux. Maffei fustige aussi le rôle d’experts que se sont arrogés les économistes en mettant en avant des modèles mathématiques censés être irréfutables mais qui ne sont que des « habits élégants posés sur un mannequin sans corps« . Trop de paramètres tels les marchés, spéculations, la politique, l’environnement, les affects, réduisent la valeur prédictive des modèles économiques.
La parole/pensée n’est pas rationnelle. La pensée humaine est la rencontre de la pensée émotive et de la pensée rationnelle. Maffei rappelle qu’il est impossible de penser sans avoir l’émotion, ce qui devient ensuite une narration. Soit, in fine, un processus qui invalide l’idée d’un mode de pensée et d’action rationnel des hommes. La mémoire des évènements, des observations, des paroles produites par l’hémisphère rationnel devient forte et indélébile, surtout quant elle est liée à une émotion.
1% de la population possède une richesse supérieure aux 99% restant
Les chiffres du rapport OXFAM de 2016 montrent de façon crue les insupportables inégalités qui continuent à s’accroitre dans le monde. Maffei pense que la place de la culture consiste à guider les désirs et à les déplacer de la consommation à la réflexion et à l’observation de la nature. Il soulève le moteur principal de l’action des puissants qui consiste à utiliser leurs prochains. En bref, la nécessité d’une empathie minimum pour éprouver les souffrances de nos semblables. Mais n’est-ce pas un vœu pieux, quand l’histoire nous apprend qu’une partie de l’humanité a toujours dominé l’autre avec des moyens brutaux ou plus subtils, en le justifiant toujours pour se donner une bonne conscience ?
Le chapitre Condamnés à dormir mentionne les recherches en pharmacologie et ingénierie génétique sur la réduction dramatique du temps de sommeil. A l’image du moineau a tête couronnée qui peut rester éveillé durant 7 jours lors des migrations de l’Alaska au Mexique, les militaires rêvent de soldats plus longtemps actifs et le marché de travailleurs capables de produire 7/7 et 24/24. Et l’auteur de rappeler l’absurdité qu’il y aurait a accroitre le cycle production-consommation dont on connait les aspects négatifs.
La société humaine s’est toujours organisée de telle sorte qu’un petit nombre de privilégiés exploitent les autres citoyens. En tête du chapitre Ploutocratie, cette phrase juste de Leon Tolstoï: « Je suis assis sur le dos d’un homme, je le fais suffoquer et je l’oblige à me porter; pourtant, je m’assure à moi-même et aux autres que je suis désolé pour lui et que je désire soulager son sort par tous les moyens possibles, sauf de descendre de son dos« .
On peut avec l’auteur penser que le cerveau primitif, instinctif et soumis à la loi biologique de survie ne veut rien céder au cerveau plus jeune de la rationalité qui a crée la pensée, le langage et probablement la civilisation. Face à l’augmentation exponentielle de la puissance technologique, l’éthique n’a pas évolué d’un iota et cette simple constatation est porteuse de lourds dangers.
Sur l’auteur:
Lamberto Maffei est, notamment, professeur émérite de neurobiologie à l’Ecole normale supérieure de Pise. Il a participé à de nombreux travaux de recherche, notamment au collège de France, au MIT et à l’univeristé d’Oxford.
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